22 décembre 2014

Projet 12 - Décembre

Bonjour,

Je suis tellement à fond dans l'écriture de Déchéance (déjà plus de 16 000 mots, je ne suis que joie pour le moment), que j'en ai presque oublié de poster l'extrait de la nouvelle de Décembre. Honte à moi, tiens. Bref, pour décembre, j'ai voulu une nouvelle avec le thème de Noël. J'étais partie pour un Noël un brin dystopique et puis finalement, je suis revenue à plus normal, plus "blanc", plus traditionnel. Et pour changer un peu de la soirée de Noël, j'ai écrit une lettre au bonhomme en rouge. Enfin, pas moi, mais Julie, une petite demoiselle qui passe les vacances chez ses grands-parents.




En fait, en guise d'extrait, c'est la nouvelle, courte tout de même, que je vais mettre ici. Un petit cadeau de Noël pour les quelques lecteurs de ce blog.

Julie s’installe confortablement devant la télévision en noir et blanc de chez ses grands-parents. Pépé regarde une émission qui semble sortie des années cinquante alors qu’elle n’a pas deux ans. Le grain et la neige de l’image la rendent presque intemporelle. De toute façon, Julie s’en fiche. Elle n’est pas là pour regarder la télévision et dans ses mains trône l’un de ses biens les plus précieux, un vieux livre à la couverture aussi passé que la boite à image. Ce livre, elle le connaît par coeur. A chaque vacances, elle le récupère dans la bibliothèque de mémé et l'amène dans sa chambre sous le toit pour le lire de bout en bout, dans tous les sens. Souvent, Julie s’imagine alors suivre les aventures du capitaine Nemo à bord du Nautilus.
La jeune fille s’installe donc, livre à la main sur le vieux canapé. Elle s’enroule dans le vieux plaid en laine dont elle aime tant l’odeur. Elle cherche sa place et une fois qu’elle est bien, commence à lire. Les pages défilent à toute allure, elle lit certains passages plusieurs fois, en passe d’autre qu’elle n’aime pas. Rapidement, elle ne se trouve plus dans le salon de pépé et mémé mais bien dans le sous-marin de Nemo. La voilà partie à l’aventure sous les mers.
Elle ne revient à la réalité que quelques heures plus tard, alors que mémé les appelle, elle et pépé pour le dîner. Elle pose le livre religieusement et se lève. Pépé parle dans sa barbe, comme quoi mémé appelle toujours pour le repas quand ça devient intéressant. Julie regarde l’écran noir et blanc. Les informations défilent, toujours plus violentes. Elle préfère son livre à ces images qui font peur. Elle court presque dans la cuisine.
Mémé a déjà mis les assiettes et le reste des couverts sur la nappe à carreaux blanc et rouge. Tout chez les grands-parents fait penser à une autre décennie. C’est ce qu’elle aime chez eux. Ici, on a l’impression d’être hors du temps, que rien ne va nous atteindre, nous faire mal. Maman n’aime pas vraiment ça, ni papa. Eux, il leur faut leur connexions internet, le réseau pour le téléphone, la télévision en couleur. Ils ont besoin d’être connecté avec leur temps, alors qu’elle aime justement ne pas l’être. De temps en temps, ça fait du bien. Et puis pépé et mémé sont toujours gentils avec elle, et ça aussi, elle apprécie beaucoup. Pas que ce ne soit pas le cas de ses parents, juste qu’eux, ils sont trop occupés par des boulots qui leur bouffent le temps.
Elle s’assoie en bout de table, devant une assiette de soupe qui fume encore. Pépé s’installe lui aussi puis vient le tour de mémé. Durant le repas, ils parlent de tout et de rien, de ce qui fait la vie ici et ailleurs. Julie les écoute d’une oreille distraite.
Mémé se tourne vers elle, sourire aux lèvres. Elle relève la tête de son assiette creuse.
— Dis, ma Julie, tu as fait ta lettre au Père Noël ?
— Je suis trop vieille pour ça, mémé, j’ai treize ans, maintenant.
— On est jamais trop vieux pour écrire une lettre, rétorque pépé. J’ai fait la mienne pas plus tard que la semaine dernière !
Julie rigole. Elle n’imagine pas vraiment pépé faire une lettre au Père Noël. Ni mémé, d’ailleurs. Et puis, elle n’a plus l’âge. De toute façon, ça fait bien longtemps qu’elle n’y croit plus au Père Noël, depuis qu’à l’âge de cinq ans, elle a surpris son père alors qu’il enfilait le costume. Elle ne voit pas pourquoi elle ferait une lettre pour quelqu’un qui n’existe pas.
Sauf que la question de mémé lui trotte dans la tête durant le reste du repas, puis durant la soirée devant la télévision noir et blanc et encore lorsqu’elle se couche, sous l’édredon en plume et la couverture au crochet. Elle y pense avant de s’endormir.

Le lendemain, elle se réveille vers neuf heures, comme tous les jours de vacances. Elle descend à la cuisine. Mémé a préparé les tartines et elle lui fait chauffer son lait dans la casserole. Elle ne parle pas de la lettre, même si l’envie est forte. Elle y a pensé toute la nuit. Après tout, cela ne lui coûterait rien de faire une lettre. Juste un peu de temps, qu’elle a à foison. Cela l’occupera un peu.
Son bol de chocolat et ses tartines engloutis, elle demande des feuilles et un stylo à mémé. Toute contente, celle-ci lui donne ce qu’elle a de plus beau. Le papier est un papier à lettre comme on en fait plus, épais, avec un cadre de fleurs couleur pastel et des lignes qu’on ne voit presque pas. Le stylo, c’est celui  à plume qu’elle garde dans un vieux tiroir. Elle a aussi des cartouches d’encre pour ne pas être à court. Elle lui donne aussi des feuilles toutes blanches, pour le brouillon.
Julie s’installe au bureau de pépé, dans la pièce à côté du salon. Elle passe d’abord en revue les vieux disques, en choisit un qu’elle ne connaît pas vraiment mais dont la couverture lui plaît et le met sur le tourne-disque. Elle ne monte pas trop le son, elle ne voudrait pas gêné pépé. La musique s’insinue peu à peu dans la pièce. Elle reconnaît les notes et certains passages. Elle aime beaucoup Wagner, en fait.
Elle s'assoit sur la vieille chaise grinçante et prend le stylo en main. Elle reste comme ça durant un long moment. Elle ne sait pas vraiment quoi écrire. Elle n’a pas fait de lettre au Père Noël depuis des années. Elle ne sait comment commencer ni même ce qu’il faut y mettre. Juste une liste de cadeau ? Alors qu’ils sont déjà achetés et cachés dans la maison, chez elle ? Dire qu’elle a été bien sage, alors que c’est complètement faux ? Peut-elle lui mentir, au vieux bonhomme en rouge ? Finalement, elle décide de s’y mettre.

Cher Père Noël,

Je dois bien avouer que je ne crois pas en toi. Oui, je me sais que commencer une lettre qui t’ai adressé par cette phrase n’est pas forcément la meilleure idée qui soit. Mais autant de le dire direct, comme ça, pas de mensonges entre nous. Je ne sais même pas pourquoi j’écris, en fait. Mémé m’a demandé si je l’avais fait. Cela avait l’air de lui tenir à coeur. C’est plus pour elle que pour moi. Ça lui fait plaisir, je crois.
Tu sais, à moins que je ne dois te vouvoyer, ça non plus je ne sais pas, je ne vais pas te mentir, je n’ai pas été sage cette année. De toute façon, quel enfant est vraiment sage sur une année complète ? Franchement, s’il fallait vraiment être sage pour recevoir son cadeau de Noël, la plupart des enfants du monde n’en auraient pas. Encore une invention de nos parents pour qu’on se tienne à carreau. Mais bon, si ça leur fait plaisir, hein… On ne va pas non plus leur jeter la pierre. Ça fonctionne plutôt pas mal, surtout durant les mois de novembre et décembre, avec l’approche de ta fête.
Je te raconterais bien mon années, mais tu vas trouver ça chiant ennuyeux. J’ai la même vie que toutes les filles de mon âge. D’ailleurs, je ne l’ai pas dit et tu dois sûrement le savoir, si vraiment tu existes, mais j’ai treize ans. Bref, ma vie, c’est maison, collège et parfois sorties entre copines. Quoique j’en ai pas beaucoup des copines Les filles de ma classe, elles me trouvent bizarres parce que je suis tout le temps le nez dans un livre. Mais que veux-tu, j’aime lire. Je préfère lire que les écouter parler de garçons ou de la dernière marque à la mode. Je les trouve superficielles et je n’aime pas ça. En plus, la conversation entre elle et moi tourne souvent court. Je ne regarde presque pas la télévision et il semble qu’elle soit leur espèce de Dieu.
Mais je ne suis pas seule pour autant, hein. J’ai une vraie copine. Elle s’appelle Elise. Je crois que si réellement tu ne donnais des cadeaux aux enfants sages, elle n’en aurait pas. Elise, maman et papa ne l’aime pas. Elle est vulgaire d’après eux et puis, elle est de mauvaise influence. Ils ne la connaissent pas. Ils ne savent pas qui elle est réellement, ni pourquoi moi je l’aime beaucoup. Et puis, de toute façon, je m’en fiche, elle, au moins, elle me comprend, pas comme les autres filles. En plus, elle aime les mêmes livres que moi, ça aide aussi.
Mais il n’y a pas qu’Elise. Il y a aussi Gabriel. Je crois qu’il m’aime bien, je ne sais pas trop. Il est à côté de moi en français. Il me plaît beaucoup un peu, si tu veux tout savoir. Mais lui aussi n’est pas fréquentable d’après mes parents. A croire que je n’aime que les gens qui ne le sont pas. A moins qu’ils n’aient une vision étrange de ce qui est fréquentable ou pas. Ils pensent que je fais exprès de devenir copine avec tous ceux qu’ils n’aiment pas, que ça me passera, que c’est juste parce que je fais ma rebelle et que de toute façon, je suis dans l’âge con bête. Mais je suis sure que ça t'intéresse pas tout ça.
Non, toi, tu veux ma liste, c’est ça ? Celle des cadeaux que je voudrais avoir et qui bien sur ne seront pas sous le sapin le vingt-cinq. Parce qu’en vrai, ils sont déjà à la maison et que papa et maman me prennent toujours ce que je ne veux pas vraiment.
Pour cette année, je n’ai pas forcément grand chose à demander du coup. En fait, papa et maman, malgré ce que j’en dis souvent, ils sont plutôt cools avec moi. Pour rattraper le temps qu’ils ne peuvent pas passer avec moi à cause de leur boulot, ils m’offrent souvent des petits cadeaux. Alors du coup, à Noël, j’ai jamais rien à leur demander. Je pourrais bien demander à ce qu’ils soient plus présent à la maison, qu’ils pensent plus souvent à moi. Mais je sais que leur boulot est super important en fait. Sans lui, ils seraient tristes, j’en suis sure. Puis en fait, je ne sais pas si je supporterais de les avoir toujours avec moi, comme ça. Je me suis habituée à ce qu’ils ne soient pas toujours là, même si parfois, c’est dur.
Et puis, de toute façon, j’ai pépé et mémé. J’aime beaucoup être chez eux, alors si tu pouvais faire en sorte que ça dure encore longtemps, ne te gènes surtout pas. Je sais bien qu’un jour, ils ne seront plus là, qu’ils ne sont pas éternels, maman le dit tout le temps, mais si tu pouvais juste faire en sorte que ça dure jusqu’à aller, disons mes quarante ans, au minimum. Je suis sure que ce n’est pas trop de demander, après tout, t’arrive bien à faire le tour de la planète en une nuit, ce qui est d’ailleurs physiquement impossible. Faudra me dire comment tu fais, d’ailleurs, ça m’intrigue. Même Jules Verne n’a pas trouvé comme faire.
Mais revenons à nos moutons, comme dirait pépé. Soit ce que je veux à Noël. Je n’y ai pas réfléchi, du coup, tu m’excuseras si ça part un peu n’importe comment.
En premier, et surtout le plus important hein, je voudrais bien l’intégrale de Jules Verne. Tous, hein, pas d’exception. Et si possible dans les éditions avec les couvertures rouges super jolie, un peu art déco, un peu Steampunk. Mémé n’a que 20 000 lieues sous les mers, et j’aimerais bien lire les autres, et puis ils feraient vraiment classe dans ma bibliothèque.
En second, un tourne disque, pour pouvoir écouter les disques de pépé même à la maison. Pas parce qu’il parait que ça fait bien maintenant d’en avoir un. Juste que j’aime bien les disques classique de pépé. Là, tu vois, j’écoute du Wagner, et franchement, c’est génial. Bien mieux que le rap et toute cette musique qui passe à la radio ou que les filles de ma classe écoute. Mais ça, je ne peux pas non plus le dire comment ça devant elles, sinon, elles le rajouteraient à tous les autres point à moquer chez moi. Quand je te dis qu’elles sont bêtes et superficielles...
En troisième, ça sera cool que tu changes l’ordi de maman aussi. Comme ça, je pourrais avoir le vieux et elle, elle ne râlera plus sur le fait qu’il soit lent comme tout. Je pourrais me mettre à écrire le super roman que j’ai en tête. Je voudrais bien devenir écrivain quand je serais grande, devenir l’égale de Jules Verne, et faire des histoires comme les siennes mais un peu plus moderne. J’ai déjà tout plein d’idée, et tu vois, ça m’aiderait pas mal à les concrétiser. Et puis, comme je dis, maman sera bien contente aussi, alors, ça fait deux cadeaux en un, c’est pas mal non ?
En quatrième, ben, en fait, non, rien du tout. Juste trois choses, ça fait une liste plutôt petite non ? Je suis sure que tu as des listes plus grosses que ça. Je ne pense pas en demander trop en même temps. Et puis, je pourrais aussi faire la gentille en demandant la paix dans le monde, le bonheur pour tous et tout le reste. Sauf que, ben, je suis sure que là tu comprendrais que je mens. Parce que personne ne souhaite vraiment ça, c’est juste la phrase bateau pour se croire plus intelligent que les autres. D’ailleurs, tu le vois bien quand les gens la disent, leur sourire de faussaire. Je trouve ça limite débile de souhaiter un truc dont on n’a rien à foutre faire. Pourquoi ne pas demander un truc qu’on veut vraiment, même si ça parait ultra égoïste ? C’est comme si je te demandais de faire en sorte que papa et maman soient plus souvent à la maison. Tu vois l’idée, je suppose.
Je pense que j’ai fini. Je ne vois pas ni quoi demander de plus, j’ai déjà tellement de chose, avouons-le, ni quoi raconter de plus.
Alors voilà, la lettre est finie. J’espère juste que l’adresse : “Père Noël, Pôle Nord” va suffire pour qu’elle t’arrive.
Julie

La jeune fille pose son stylo sur le bureau et se relit. Elle corrige quelques fautes, relit une nouvelle fois. Elle est plutôt fière d’elle sur le coup. Elle prend le beau papier décoré que mémé lui a donné juste avant. Elle le pose délicatement devant elle et se penche dessus. Elle commence à écrire.

Cher Père Noël,

Mais lorsqu’elle regarde à nouveau son brouillon, quelque chose cloche. Elle ne voit pas quoi de suite. Elle lit et relit, et puis finalement, elle reprend la plume.

Pour ce Noël, j’aimerais beaucoup que tu m’apportes :
L’intégrale des livres de Jules Vernes, un tourne-disque, un ordinateur.
Merci d’avance
Julie.

Elle ne relit pas cette fois. Elle plie la feuille délicatement, la met dans une enveloppe assortie. Elle la referme, y ajoute un peu de Scotch trouvé dans un des tiroirs du bureau. Elle écrit l’adresse, la plus simple “Père Noël, Pôle Nord” puis elle va à la cuisine, le territoire de mémé.
Mémé s’y trouve. Elle prépare le repas pour midi. Julie se poste à côté d’elle.
— C’est fait, dit-elle simplement.
— Bien. Pépé doit aller à la boulangerie, il passe devant la poste. Donne la lui.
Julie sort de la cuisine pour retrouver pépé dans le salon, toujours devant sa vieille télévision en noir et blanc. Elle lui donne l’enveloppe, un peu timidement quand même. Une fois que c’est fait, elle repart dans le bureau.
Elle y prend le brouillon et file dans sa chambre.
Là, elle se jette sur le lit et plonge la main sous l’oreiller en plume. Elle en sort un cahier d’écolier, de format moyen et déjà bien rempli. Elle l’ouvre à la dernière page écrite et y insère la feuille. Elle ne marque rien d’autre dessus. Elle la garde bien au chaud, avec le reste, dans ce cahier. De toute façon, si le père Noël existait vraiment, il saurait ce qu’elle avait écrit.

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